Le coin de l’éditeur

Alain Beaulieu inaugure aujourd’hui une nouvelle section de son site web intitulée Le coin de l’éditeur. Il y glissera quelques conseils aux auteurs qui souhaitent soumettre un manuscrit à une maison d’édition, ajoutant de temps à autre de courts articles plus personnels.


La lettre de présentation

Lorsque vous proposez un manuscrit à un éditeur ou à une éditrice, il est fortement suggéré d’y annexer une lettre de présentation à la fois concise et personnelle, qui peut se décliner en trois paragraphes.

D’abord, vous y présentez votre œuvre en quelques mots, en mettant l’accent sur vos sources d’inspiration et votre démarche d’écriture.

Puis vous situez cette œuvre dans votre cheminement artistique ou professionnel.

Une courte notice biographique viendra clore la lettre, qui doit tenir sur une page.

Il faut garder à l’esprit que votre lettre doit donner le goût de lire votre manuscrit, mais sans ostentation. Il s’agit de vous y montrer le plus naturel.le possible, en évitant les flagorneries inutiles, confiant.e et enthousiaste devant le texte que vous proposez.


Les trois T de la publication

L’histoire de la littérature nous offre de nombreux exemples de manuscrits qui, dans un premier temps, n’ont pas trouvé preneur pour leur publication et qui sont devenus par la suite des œuvres importantes de la littérature.

Aussi ai-je l’habitude de dire que pour qu’un texte soit publié, il doit répondre à la règle des trois T :

Talent : je parle ici de la faculté à utiliser le langage pour créer une œuvre artistique, sachant que le talent seul ne suffit pas.

Travail : condition essentielle au développement du talent initial – travail sur soi pour que nos textes témoignent de notre personnalité et de ce que nous avons à offrir au monde par la littérature, et travail sur le langage pour que celui-ci se déploie avec précision et sensibilité.

Timing : votre manuscrit devant se présenter à l’éditeur au moment opportun pour qu’il puisse l’accueillir selon son catalogue et la «couleur» qu’il souhaite donner à sa collection.

Il suffit qu’un de ces trois éléments fasse défaut pour que la publication du texte soit compromise. Les deux premiers sont interreliés, chacun étant tributaire de l’autre, mais comme auteur, vous n’avez pas le contrôle sur le troisième.

Aussi devez-vous vous assurer que vous avez tout donné pour que votre talent s’épanouisse par le travail, en gardant espoir que le timing sera le bon lorsque vous soumettrez votre manuscrit.


Les refus

Vous avez présenté un manuscrit à un éditeur et vous avez reçu une lettre de refus de sa part. Évidemment, même si je vous dis que vous n’êtes pas le ou la seul.e à qui cela est arrivé, cela ne vous consolera pas.

Chaque maison d’édition au Québec reçoit presque 1000 manuscrits par année. Faites le calcul par mois, par semaine ou par jour, et vous comprendrez qu’un éditeur ne peut pas lire toutes ces pages qu’on lui transmet.

Sachant qu’il ne publiera qu’un tout petit pourcentage de ces manuscrits, il doit apprendre à dire non, même à des écrivains dont il apprécie par ailleurs l’œuvre ou la personnalité.

Mon premier roman publié était en fait le quatrième que j’avais écrit – vous dire le nombre de lettres de refus que j’ai reçues. Je suis heureux aujourd’hui que les deux premiers n’aient pas trouvé preneur, car ils m’ont servi à apprendre mon métier. Le troisième aurait pu faire son chemin jusqu’aux lecteurs, mais cela ne s’est pas produit.

Tout cela pour dire que le domaine de l’édition, comme de bien des milieux artistiques, n’échappe pas à la règle d’une offre qui dépasse de loin la demande. Je reste cependant convaincu qu’un très bon texte finira par attirer l’attention d’une manière ou d’une autre.


La relation auteur.e / éditeur.trice

La relation entre l’éditeur et l’auteur.e en est une de collaboration dont l’objectif est d’amener le manuscrit à sa forme la plus précise, tant par sa structure que par la maîtrise du langage.

L’écrivain.e sait que le bon éditeur l’amènera plus loin sans dénaturer son travail. S’il ou si elle se sent mal à l’aise pendant le processus de révision, a l’impression qu’on lui manque de respect ou qu’on veut lui faire dire des choses qu’il ou elle n’a pas écrites ou d’une manière qui ne serait pas sienne, c’est qu’il ou elle n’est pas dans la bonne maison.

En mettant le texte et la voix narrative au centre de ses préoccupations, l’éditeur s’appuie sur ce qui a attiré son attention à la première lecture pour proposer des avenues structurelles ou langagières qui porteront le texte vers l’avant en le rendant plus efficace, plus précis et plus harmonieux.

Considérant son premier jet comme un matériau dont la forme n’est pas encore tout à fait fixée, l’auteur.e sait que ce regard extérieur, pourvu qu’on lui laisse le dernier mot, constitue une occasion de présenter le meilleur de ce qu’il ou elle peut offrir à ses éventuels lecteurs et lectrices.


La maîtrise de la langue

Il m’arrive régulièrement de lire un manuscrit et de me dire : quel dommage! L’idée est là, l’énergie et le propos aussi. Les personnages sont intéressants et l’histoire témoigne d’une belle originalité. Mais parce que l’auteur.e ne maîtrise pas la langue française, le lecteur n’arrive pas à entrer dans le récit.

La connaissance du code spécifique à la langue s’apparente aux techniques fondamentales des autres formes d’art, que ce soit la musique, la peinture, la danse, le jeu théâtral ou la sculpture. L’artiste doit connaître les règles de base liées à son matériau pour pouvoir se les approprier, les contourner quand il le souhaite, voir s’en affranchir si son œuvre le réclame. Mais il ou elle ne pourra pas jouer avec les codes normatifs s’il ou elle ne les possède pas.

Je prends souvent l’exemple du hockey, notre sport dit national : il faut d’abord apprendre à patiner avant d’espérer pouvoir jouer dans une ligue, au demeurant une ligue professionnelle. Le meilleur manieur de rondelle n’y fera rien de bon s’il patine «sur la bottine».

Cette maîtrise de la langue entre en nous par la lecture assidue des grandes œuvres, et par une volonté constante de chercher à s’améliorer, sachant que ce combat avec les mots n’est jamais terminé et nous oblige à demeurer constamment en alerte.